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Je me disais :

     « La foi n’est pas la peur. Le suicide n’est pas une solution. L’épreuve est un défi. La résistance est un devoir, pas une obligation. Garder sa dignité est un impératif absolu. C’est ça : la dignité c’est ce qui me reste, ce qui nous reste. Chacun fait ce qu’il peut pour que sa dignité ne soit pas atteinte. Voilà ma mission. Rester debout, être un homme, jamais une loque, une serpillière, une erreur. Je ne condamnerai jamais ceux qui flanchent, abandonnent le combat, ceux qui ne supportent pas ce qu’on leur fait endurer, finissent par céder sous la torture et se laissent mourir. J’ai appris à ne jamais juger les hommes. De quel droit le ferais-je ? Je ne suis qu’un homme, semblable à tous les autres, avec la volonté de ne pas céder. C’est tout. Une volonté cruelle, ferme, et qui n’accepte aucun compromis. D’où vient-elle ? De très loin. De l’enfance. De ma mère, que j’ai toujours vue se battre pour nous élever, mes frères et sœurs. Jamais renoncer. Jamais baisser les bras. Ma mère ne comptait plus sur notre père, un bon vivant, un monstre d’égoïsme, un dandy qui avait oublié qu’il avait une famille et dépensait tout l’argent chez les tailleurs qui lui confectionnaient une djellaba en soie par semaine. Il faisait venir ses chemises d’Angleterre et ses babouches de Fès. Il faisait venir son parfum tantôt d’Arabie Saoudite, tantôt de Paris, et se pavanait dans les palais de la famille du pacha El Glaoui. Pendant ce temps là ma mère trimait, travaillait tous les jours de la semaine pour que nous ne manquions de rien. On avait le strict nécessaire. Seul le petit dernier avait le droit d’être gâté. Ma mère perdait sa sévérité face à son petit prince, étonnant enfant à l’intelligence lumineuse et aux caprices innombrables. Nous l’aimions tous, peut-être parce que notre mère l’adorait, et que nous ne voulions pas la contrarier ou contester sa façon d’avoir de la joie et du bonheur avec cet enfant Elle était émerveillée par sa beauté et par son exceptionnelle vivacité. Le jour ou elle a renvoyé mon père de la maison, elle nous a tous réunis et nous a prévenues : « Pas de fainéants chez moi, pas de dernier de la classe ; à présent, je suis votre mère et votre père. »

                                  Tahar Ben Jelloun : Cette aveuglante absence de lumière    

Tag(s) : #Littérature
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