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   Depuis quelques jours, par exemple, je commence à me dire que je n’ai nul besoin d’Houmayoun dans ma vie. Je ne dépends de lui ni matériellement ni sentimentalement. Je connais suffisamment de gens pour avoir à qui parler, quand j’en ai envie. Au fond, j’aime la solitude, Noupour. Je ne pense pas que la vie doive être un champ de foire ! Et ce que je déteste par- dessus tout, tu le sais, c’est d’avoir à mes côtés quelqu’un qui me dise sans arrêt : «  Fais ci, fais ça ! »

  Avant notre mariage, il existait entre Houmayoun et moi une certaine amitié. De cette amitié nous sommes passés à la vie de couple, en partie par la volonté d’Houmayoun, en partie à cause du ressentiment que je nourrissais contre Papa, contre la famille. Mais tout cela est loin maintenant ! Papa ne vient plus me déranger avec ses angoisses de père d’une fille répudiée. Et, probablement, mon amertume s’est atténuée. C’est sans doute pourquoi je m’interroge sur mes raisons de continuer à vivre avec Houmayoun. Je m’interroge… et je n’en vois guère de raisons !

  Dans ta dernière lettre, tu me conseilles d’avoir un enfant. Je ne dis pas non, mais en même temps je sais que je ne suis pas prête à accepter que l’enfant que j’aurais porté pendant neuf mois, pour la naissance duquel j’aurais été seule à souffrir, soit désigné uniquement par le nom de son père.

 Je sais, je sais Noupour, cela ne s’est jamais vu dans notre pays qu’un enfant porte le nom de sa mère au lieu du nom de son père. De la naissance à la mort, seul compte le patronyme. Et, bien ! C’est cela que je veux changer. C’est à la condition qu’il porte mon nom que je veux bien mettre au monde un enfant.

  Ne vas croire qu’il s’agisse là d’une manifestation de mon désenchantement, d’une quelconque envie de blesser Houmayoun ! Ce n’est que mon souci de justice qui m’inspire cette volonté. Préfères-tu que j’aie cette exigence ou que je renonce pour toujours à avoir un enfant, en guise de protestation contre cet usage, hérité du plus pur patriarcat, d’imposer le nom du père ? Tu es choquée… ? Tant mieux ! Je considère de mon devoir de vous choquer avec ce genre de volontés. J’ai assez vécue repliée sur moi-même, gardant enfermées en moi toutes mes convictions, toutes mes révoltes !

 Je pense à toi Noupour, très fort à toi. Je voudrais tant que tu sois heureuse.

               Jamouna.

                                                              Taslima Nasreen 

Tag(s) : #Littérature
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